Guide de choix : quel spectro pour votre projet ?

Préambule

Ce guide a pour but de vous aider à sélectionner l’instrument de spectroscopie qui correspond le mieux à votre besoin.

Le « spectroscope idéal » n’existe pas dans l’absolu – même si vous disposiez d’un budget sans limite. La définition du meilleur instrument possible ne peut se faire que pour une application donnée, dans un contexte donné. Le choix d’un spectroscope s’appuie donc en partie sur des éléments techniques, que nous allons détailler, mais aussi sur des éléments plus subjectifs qui concernent l’usage que vous ferez de cet instrument et sur votre environnement. Bien entendu, le budget disponible est souvent le dernier élément de décision.

Il faut considérer à ce stade un élément important, lié aux lois de l’optique (et donc non négociable) : à résolution équivalente, plus votre télescope est grand, plus le spectroscope est grand. Une autre manière de voir les choses est de constater qu’il est plus « facile » de faire le la spectroscopie avec un petit télescope ; de fait, la gamme des instruments de Shelyak est principalement destinée à de « petits télescopes » – disons entre 70 et 700mm de diamètre. Dans les éléments ci-dessous, nous vous donnons les principales clef qui vous permettront de faire le bon choix.

Spectro à fente… ou pas ?

La première mission d’un spectroscope est de disperser (étaler) la lumière en fonction de la longueur d’onde, de manière à voir des variations d’intensité en fonction de la longueur d’onde. Pour cela, on a besoin que la dimension de la source de lumière soit très petite. En astronomie, on a la chance que les étoiles soient effectivement « quasi ponctuelles », du fait de leur distance. On peut donc utiliser l’image d’une étoile au foyer du télescope comme source ponctuelle. En pratique, on préfère très souvent mettre une fente très étroite à l’entrée du spectroscope. Mais les deux approches – avec ou sans fente – ont chacune des avantages.

Avantages d’un spectro sans fente (slitless)

Un spectro sans fente a deux avantages :

  • Il est particulièrement simple
  • Il est très efficace, puisque toute la lumière de l’étoile entre dans le spectroscope

Dans un spectro sans fente, c’est la taille de l’image de l’étoile au foyer du télescope qui donne la résolution de l’instrument. Il faut donc être particulièrement attentif à la focalisation, au suivi de l’étoile, et à tout ce qui peut « étaler » l’image de l’étoile. On est donc tributaire de la turbulence du ciel (seeing), du vent, etc.

Avantages d’un spectro à fente

La grande majorité des spectroscopes utilisés en astronomie dispose d’une fente à l’entrée de l’instrument. Dans ce cas, c’est la fente qui donne la résolution de l’instrument. Cela permet :

  • de garantir une résolution constante, quelques soient les conditions d’observations (seeing, vent, qualité de suivi),
  • d’observer une source étendue : nébuleuse, galaxie, etc,
  • de rendre la position du spectre dans l’image indépendant de la position de l’étoile (sous réserve que l’étoile soit dans la fente),
  • l’étalonnage en longueur d’onde avec une lampe d’étalonnage (qui est toujours une source étendue).,
  • d’atteindre une plus haute résolution (au prix de perdre une partie de la lumière dans la fente),
  • d’isoler l’étoile que l’on souhaite observer, sans risquer le recouvrement de plusieurs spectres,
  • de réduire sensiblement le niveau de lumière du fond de ciel,
  • de mesurer, en même temps que le spectre de l’étoile, celui du fond de ciel, pour corriger notre spectre de la pollution lumineuse.

Ces arguments sont suffisamment forts pour que sur le terrain on préfère généralement des spectros à fente.

Dans la gamme de Shelyak Instruments, le seul spectro sans fente est le Star Analyser. Tous les autres ont une fente… et même souvent plusieurs pour adapter la taille de la fente à la focale du télescope.

Paramètres principaux d’un spectroscope

Pourvoir de résolution spectrale (R)

La résolution (Δλ) d’un spectroscope correspond aux plus petits détails observables dans le spectre. C’est une grandeur exprimée en longueur d’onde (soit des nanomètres, soit des angströms ; 1 nm = 10 Å). Habituellement, on utilise plutôt le Pouvoir de Résolution (R), qui est une grandeur sans dimension, défini à une longueur d’onde donnée (λ). Dans les applications astronomiques, le Pouvoir de Résolution est souvent donné autour de la raie Hα, à 656,3 nm, et se calcule ainsi :

R = λ / Δλ

On considère généralement qu’un spectroscope offre une basse résolution en-dessous de R = 1000, et une haute résolution au-dessus de R = 8000 (ces valeurs peuvent fortement changer selon le contexte dans lequel vous travaillez – les chiffres indiqués ici correspondent au milieu amateur).

Un instrument de basse résolution couvre un large domaine de longueurs d’onde (par exemple tout le domaine visible), et permet d’observer des objets faibles ; pour une magnitude donnée, les temps de pose sont nettement plus courts en basse résolution.

A l’inverse, un instrument de haute résolution permettra d’observer – par exemple – d’infimes détails dans le profil d’une raie spectrale, mais un prix d’un faible domaine couvert, et d’un temps d’exposition sensiblement plus long. Au cours d’une nuit complète d’observations, vous pourrez donc observer beaucoup moins d’objets.

Précisons ici que d’une manière générale, toutes les mesures de décalages Doppler sont presque exclusivement du domaine de la haute résolution (seules les objets à très grandes vitesses radiales, telles que les quasars par exemple, sont accessibles à la basse résolution).

Taille de la fente

La fente d’entrée du spectroscope est le point d’interface entre le télescope et le spectroscope. Cette fente est (presque) toujours l’objet d’un compromis essentiel : d’un côté on souhaite l’élargir pour collecter un maximum de photons, et d’un autre, on souhaite la fermer pour augmenter la résolution (la fente a un effet direct sur la résolution de l’instrument).

Idéalement, la taille de la fente doit correspondre à la taille de l’image d’une étoile au foyer du télescope. Celle-ci dépend de deux paramètres : la longueur focale du télescope et le seeing du ciel de votre site d’observation (le seeing caractérise la turbulence du ciel). Si vous ne connaissez pas le seeing de votre ciel, ou si vous observez dans un site « ordinaire », considérez un seing de 3″ (secondes d’arc). Dans les meilleurs sites d’observation, le seeing peut descendre sous la seconde d’arc.

La taille (T en µm) de l’image de l’étoile au foyer du télescope de focale F (en mm) pour un seeing s (en secondes d’arc) se calcule par la formule suivante :

T = F . s . π . 1000 / (3600 . 180) = F . s . 0,00485

Pour un télescope et un site donnés, il conviendra donc d’utiliser une fente au moins aussi grande que cette valeur.
Un exemple : dans le cas d’un télescope amateur de 2 mètres de focale et dans un bon site d’observations (seeing 2,5″), la taille de la fente sera de l’ordre de 25µm (2000 x 2,5 x 0,00485 = 24,25).

Le calcul ci-dessus ne peut être fait que dans le cas où vous connaissez le télescope que vous utiliserez. Dans le cas contraire, vous pouvez aussi partir de la taille de la fente pour évaluer le diamètre maximum du télescope.

Rapport d’ouverture (F/D)

Un télescope (ou une lunette) est défini par sa longueur focale et son diamètre, et on indique souvent le rapport entre ces deux valeurs (F/D) qui donne son « ouverture ». Plus un télescope est ouvert, plus il est lumineux (et plus il est généralement couteux, parce qu’il est optiquement complexe de faire un instrument ouvert).

Un spectroscope dispose également du même paramètre d’ouverture, qui indique sa capacité à prendre en charge un faisceau lumineux d’entrée plus ou moins ouvert.

On cherchera toujours à adapter au mieux l’ouverture du spectroscope à celle du télescope ; par exemple, si un télescope est ouvert à F/8, on préférera un spectroscope ouvert à F/8. Si on s’éloigne de cet ajustement idéal, l’instrument fonctionnera correctement (il produira des spectres de qualité), mais au prix d’une perte d’efficacité, soit en lumière (on perd des photons), soit en résolution (on pourrait faire mieux).

Autres paramètres

Au-delà des ces trois principaux paramètres, il en existe quelques autres à prendre en compte au moment du choix de votre instrumentation. Par exemple, on doit considérer l’adaptation mécanique (tirage, bagues d’adaptation), ou encore l’échantillonnage du capteur. Mais on peut considérer à ce stade qu’il s’agit d’éléments secondaires. Pour davantage de détails, nous vous conseillons la lecture du « Guide pratique pour (bien) débuter en spectroscopie astronomie ».

Quel télescope privilégier ?

J’ai déjà un télescope

Si vous disposez déjà d’un télescope, c’est lui qui vous orientera vers le type de spectroscope à y installer.

1. Vous pouvez alors faire un rapide calcul de la taille de la fente optimale (cf paragraphe précédent). Pour faire simple, endessous de 500mm de diamètre, on considère que l’on est dans la gamme des « petits télescopes », qui correspondent bien à la plupart des instruments de Shelyak.

2. Si le diamètre de votre télescope est supérieur à 500mm, il est utile de faire des calculs un peu plus précis. En effet, selon vos objectifs, il faudra certainement faire un choix pour privilégier la résolution (quitte à perdre un peu de lumière), ou la magnitude limite (au prix alors d’une plus basse résolution).

3. Au-delà de ce diamètre (> 500mm), on pourra considérer un spectroscope à fibre optique, comme le eShel, voire même le Whoppshel. En effet, comme à résolution donnée, la taille du spectroscope est proportionnée à celle du télescope, on arrive rapidement à des instruments volumineux et lourds ; et donc sujets à des flexions mécaniques. Utiliser une fibre optique entre le télescope et le spectroscope permet de séparer ces deux éléments, et de garder le spectro stable sur une table. La fibre optique fait en général 50μm de diamètre (à comparer à la plupart des fentes plus proches de 25μm), ce qui est bien adapté à des télescopes de 500mm et plus. Dans le cas du Whoppshel, la fibre peut même aller jusqu’à 105μm de diamètre (et donc des télescopes de la classe de 1m, voire plus).

Je n’ai pas de téléscope

1- Préférez un télescope « à miroir » pour faire de la spectroscopie. En effet, par construction ces télescopes sont purement achromatiques, c’est à dire qu’ils se comportent exactement pareil dans toutes les longueurs d’onde. Ce sont les instruments qui vous permettront au mieux d’explorer les longueurs d’onde extrêmes (UV et IR). On trouve actuellement deux types d’instruments sur le marché : les télescopes de Newton, et les télescopes Ritchey-Chrétien (RC).

2 -Pour observer des objets faibles (basse résolution), préférez un télescope « ouvert », c’est à dire avec un rapport F/D inférieur à 5 (c’est le cas des Newton, par exemple). A l’inverse, pour de la haute résolution, préférez un télescope plus fermé (F/8 ou plus – les RC sont en général à F/8).

Télescope de 200 – 300 mm : Gamme initiation

Jusqu’à 500 mm de diamètre : Gamme performance

Au delà de 500 mm de diamètre : eShel & Whoppshel

Qu’est-ce que je veux observer ?

On peut observer beaucoup d’objets différents en spectro, et mesurer plusieurs phénomènes. En fin de compte, tout est question de résolution, de domaine spectral et de magnitude limite.

La haute résolution : cibles lumineuses

Si vous privilégiez des mesures de vitesse radiale, ou des mesures qui nécessitent d’observer des détails dans un profil de raie (en émission ou en absorption), alors vous devez vous orienter vers de la haute résolution. Soit les spectros : UVEX, LHIRES III, eShel et Star’Ex HR

La basse résolutions : cibles faiblement lumineuses

Si vous avez besoin d’observer des objets faibles – disons au-delà de la magnitude 7 ou 8 – alors vous devez aller vers de la basse résolution.

Si vous ne savez pas répondre précisément à cette question (quel usage pour votre spectroscope), parce que vous souhaitez simplement découvrir la spectroscopie, alors nous vous recommandons de privilégier la basse résolution, par exemple avec un Alpy 600, un LISA ou un Sol’Ex / Star’Ex (cf plus loin). C’est ce qui vous permettra de découvrir le plus d’objets possibles, avec des temps de pose raisonnables (quelques minutes). Cela induit également des instruments plus compacts, donc plus faciles à mettre en oeuvre ; et moins chers.

La polyvalence (pour les observateurs expérimentés) :

Si vous avez plusieurs réponses à cette même question, parce que vous visez plusieurs types d’observations (certaines en haute résolution, d’autres en basse), alors vous devriez vous orienter vers un instrument polyvalent, comme l’UVEX.

Il y a clairement un compromis à trouver entre magnitude limite et résolution. Si vous avez besoin des deux (haute résolution et objets faibles), alors la seule variable reste le diamètre du télescope, parce qu’il faudra collecter plus de lumière ; c’est pour cette raison que la recherche de pointe se fait avec des télescopes de très grand diamètre.

Fabriquer son propre instrument

 

Si vous souhaitez découvrir la spectroscopie, nous vous proposons deux approches différentes : vous pouvez assembler vous-même votre instrument, ou vous pouvez préférer utiliser un instrument « prêt à l’emploi ».

1. La famille Sol’Ex / Star’Ex propose une approche résolument pédagogique : vous fabriquez vous-même le corps de votre instrument, en impression 3D. Puis vous l’assemblez avec les éléments optiques fournis par Shelyak Instruments. Après quelques heures de manipulations, vous aurez alors une grande maîtrise de votre instrument. C’est aussi, bien entendu, l’approche la moins onéreuse.

2. Si vous préférez démarrer avec un instrument prêt à l’emploi, alors vous pouvez vous orienter vers l’Alpy 600. C’est un instrument compact, facile à mettre en oeuvre, et qui ouvre à des observations fascinantes.

Conclusion

Pour conclure ce « guide de choix », je souhaite rappeler que les éléments ci-dessus ne sont que des éléments d’optimisation. Il faut bien garder à l’esprit que n’importe quel spectroscope monté sur n’importe quel télescope donnera un spectre « de qualité », c’est à dire qu’il donnera des informations scientifiques sur l’objet visé. J’invite donc systématiquement les observateurs à utiliser le matériel dont ils disposent déjà – quitte à être loin d’une configuration optimale – plutôt que de retarder leurs débuts en spectro au motif qu’ils attendent un nouveau matériel. Il suffit, pour commencer, d’observer des objets brillants. Les questions d’optimisation de l’instrumentation ne seront sensible que lorsqu’on ira vers des observations plus ambitieuses, soit en terme de magnitude, soit en terme de résolution. Il faut également garder à l’esprit qu’il est plus facile de faire de la spectroscopie avec de petits instruments : c’est moins cher, moins encombrant, plus simple à mettre en oeuvre. Enfin, on doit également se souvenir que l’optique est un « compromis permanent », et que l’idéal n’existe pas. Il est donc toujours prudent de garder une vision d’ensemble de son instrumentation, pour ne pas chercher à optimiser un « point de détail », alors même qu’on peut perdre 20 ou 50% d’efficacité sur un autre élément de la chaîne optique.

Je vous souhaite de belles observations !

(F. Cochard)